Vers une « Vélorution » de la publicité en Tunisie ?

Par Nawel AYADI*

Que vois-je ? Un vélo dans une affiche publicitaire pour une marque très connue de montres, dans l’une des artères routières les plus fréquentées et denses du Grand Tunis. Que vois-je encore ? Un autre vélo trône majestueusement dans une affiche publicitaire qui circule à la vitesse de la lumière dans les réseaux sociaux pour une marque d’une célèbre boisson gazeuse. Que vois-je encore ? Un homme et une femme en vélo tandem dans une affiche publicitaire pour une chaîne hôtelière haut de gamme en Tunisie.

Que se passe-t-il dans le monde du marketing en Tunisie ? Serait-ce une « vélorution » douce de la publicité dans une Tunisie postrévolutionnaire ? Jusqu’ici, nous avons rarement vu le vélo dans nos publicités en Tunisie. En l’espace de deux jours, j’ai vu ces trois publicités défiler de manière simultanée et surtout inattendue et surprenante. Quelques jours après, je découvre un spot publicitaire pour une nouvelle marque de couscous, le plat traditionnel et populaire tunisien, où le vélo est décliné sous toutes ses formes dans une ambiance familiale typique tunisienne. Cette publicité, sous forme d’une courte séquence vidéo illustrant une scène de vie ordinaire, représente à elle-seule un plaidoyer pour le vélo, n’étant pourtant pas le produit objet de cette pub ! Au-delà du couscous, les messages implicites pro-vélo subliminalement illustrés à travers les différentes scènes de cette pub sont multiples et variés : comme les adultes, les enfants peuvent faire du vélo, on peut faire les courses à vélo, le vélo c’est familial. Et surtout, il vaut mieux faire du vélo après avoir mangé un super couscous au poisson ! Le vélo est ici associé au plat populaire phare des tunisiens, association plus que jamais favorable au deux-roues !

Pourquoi ce constat est-il réjouissant pour le monde des cyclistes, des vélotaffeurs et des amateurs de vélo tout court en Tunisie ? Parce que la publicité reste un des moyens de communication les plus influents. Qu’elle soit télévisée, radiophonique, papier ou street, elle permet aux annonceurs de véhiculer un certain nombre de messages en faveur de leurs marques, produits ou causes.

Mais quelle place pour le vélo dans le marketing en général et la publicité en particulier de nos jours ?

Le vélo, c’est tendance !

L’épidémie de la COVID-19 a été un formidable boosteur du vélo en Tunisie. En l’absence de statistiques officielles probantes, les vendeurs de vélo peuvent témoigner de l’engouement de beaucoup de tunisiens pour le deux-roues après un long et dur confinement qui a mis en lumière les bienfaits de ce moyen de mobilité corona-protecteur. Depuis, une véritable tendance de consommation s’est installée, touchant toutes les catégories, notamment les femmes et les plus jeunes. Nous voyons ainsi de plus en plus de vélos circuler dans nos rues, des projets autour du vélo fleurir ici et là, et des demandes croissantes pour apprendre à faire du vélo à tout âge… L’association militante Vélorution Tunisie a vu ainsi les demandes d’inscription à sa Vélo-École sensiblement augmenter. Reste à vérifier, sur le temps, si cette tendance de consommation est une dynamique de fond ou juste un épiphénomène gadget dû à la conjoncture.

Le vélo fait de la pub !

Au-delà de son apparition comme composante du scénario publicitaire, le deux-roues a fait également son apparition dans le paysage marketing à travers la publicité à vélo (« bike advertising »), une orientation de communication qui a connu une expansion importante à l’étranger. Écologique, cool et conviviale, la publicité à vélo est une forme de « transit advertising » (publicité placée dans ou sur les différents modes de transport en commun) qui permet aux marques et aux organisations de jouer la carte de la proximité avec les consommateurs et de signaler un certain engagement dans le développement durable extrêmement bénéfique pour l’image et la réputation de la marque. La publicité à vélo est actuellement inexistante en Tunisie.

Le vélo, et le risque du « bikewashing » !

Non, détrompez-vous, il ne s’agit pas d’une machine à laver les vélos, ni de ce vélo d’appartement qui lave votre linge sale par la force de vos mollets ! Le « bikewashing », par analogie avec le « greenwashing », est ce piège publicitaire qui consiste à injecter du vélo dans la pub, n’importe où, n’importe comment, pour n’importe quel produit, dans l’espoir de faire croire que la marque est écologique. Comme l’a si bien signalé Florent Deligia[1], cela frise parfois le ridicule. Il avait pertinemment pris l’exemple absurde d’une publicité pour un projet d’autoroute à Lyon illustrant une famille à vélo ! Focalisé sur l’aspect écologique du vélo, le « bikewashing » occulte les autres vertus du vélo qui peuvent très souvent être en totale contradiction avec le métier de la marque en question ou les fonctions de son produit promu.

Dans le cas des publicités mobilisant le vélo et repérées jusqu’ici en Tunisie, les concepteurs de la communication ont su éviter le risque d’incohérence avec le produit, la marque ou l’enseigne. Espérons, que nos professionnels du marketing ne tomberont pas dans le piège du « bikewashing » et savourons pleinement la « vélorution » de la publicité en Tunisie ! Le vélo, c’est « trendy » en Tunisie…ENFIN !

[1] Florent Deligia, « Succès des déplacements à vélo : l’ère du bikewashing commence ! », Lyon Capitale, 13 janvier 2020.

*Nawel Ayadi est une militante pro-vélo et Enseignante – Chercheure en Marketing à l’Institut Supérieur de Gestion de Tunis.
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